"Exploring the future of work & the freelance economy"
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“Il y a une espèce de renversement des priorités, on devrait travailler pour vivre et non l’inverse.”

La productivité c’est partout, tout le temps. Indicateur économique et diktat de la performance, elle envahit toutes les dimensions de notre vie jusqu’à renverser l’ordre de nos priorités. Dans son nouveau livre “En finir avec la productivité : critique féministe d’une valeur phare de l’économie et du travail” , Laëtitia Vitaud revient sur les dérives d’un concept dépassé et profondément sexiste.

Laëtitia Vitaud , autrice et experte sur le Futur of Work, s’inscrit dans une longue tradition de critiques des indicateurs et de la pensée économiques qui excluent les femmes. Déjà adolescente, jeune adulte et jusqu’à récemment, elle se demande pourquoi, lorsqu’il s’agit d’économie, il n’y a pas ou quasiment pas de représentation féminine. Hommage donc à toutes ces femmes engagées, ces écoféministes et avant-gardistes, hommage à Dominique Méda , sociologue française, qui remettait déjà en question le PIB dans les années 90. C’est grâce à ces figures emblématiques, briseuses de codes, que Laëtitia Vitaud aiguise son sens critique. Aujourd’hui, elle intègre, elle aussi, le cercle des autrices qui renversent les mythes.

Le travail gratuit, nié

De manière plus immédiate, l’idée du livre a été titillée par une expérience douloureuse de la pandémie vécue par les femmes. “Beaucoup de femmes se sont rendues compte au moment du confinement, pendant que les services de la petite enfance étaient fermés et que les corvées domestiques augmentaient, qu’elles n’étaient pas aussi productives qu’avant ou que, pour arriver à faire la même chose, elles atteignaient un niveau d’épuisement bien plus important. Que les tâches qu’elles exécutaient au quotidien n’existaient pas ou étaient dévalorisées au regard de la productivité.”

En fait, et c’est le  voile que lève Laëtitia Vitaud, la manière dont on mesure l’économie aujourd’hui occulte complètement le travail gratuit des femmes, leur contribution nécessaire à l’équilibre de la société.

Dans la sphère domestique, 2/3 des corvées sont toujours et encore assumées par des femmes (…) et dans la grande majorité des familles de métiers, la mixité n’existe pas.

Quel rapport avec le féminisme ?

La critique est ouvertement et fondamentalement féministe. Pas seulement parce que la productivité nie le travail gratuit mais “parce que de manière structurelle les femmes sont davantage exclues du travail productif bien rémunéré, la productivité est mesurée de telle sorte qu’elle décrète que les femmes sont moins productives que les hommes à l’échelle macro.

Et, parce qu’il y a toujours cette question de la division sexuée des tâches, entre le travail dit ‘reproductif’ attribué autrefois au féminin et le travail dit ‘productif’ attribué au masculin. De cette division sexuée on n’en sort pas du tout. Dans la sphère domestique, 2⁄3 des corvées sont toujours et encore assumées par des femmes (dans l’essentiel des pays) et dans la grande majorité des familles de métiers, la mixité n’existe pas.” On observe alors que les secteurs réputés comme étant les plus productifs sont occupés majoritairement par des hommes. Encore une fois, face à l’inégalité criante, le féminisme est nécessaire.

Un principe tautologique

Et si la réflexion sur le sujet est salutaire, la révolution devient indispensable. “La productivité est utilisée comme argument économique pour justifier les différences de rémunération. En fait, c’est un phénomène tautologique : certains métiers sont bien payés parce que réputés comme productifs, et puis ils sont productifs parce qu’ils sont bien payés.

Si on prend le cas des enseignants en France, ils sont peu rémunérés, moins que la moyenne de l’OCDE , et leur productivité est calculée sur base des coûts sur les finances publiques. C’est donc, précisément, parce qu’on a choisi de peu les rémunérer que quand on fait le calcul de leur productivité, elle est basse. Et inversement, on les rémunère peu en utilisant leur soi-disant faible productivité comme argument pour ne pas les rémunérer. Avec, toujours, cette idée que les activités de care et de soutien sont une charge pour l’économie.” Comme un serpent qui se mord la queue…

Il faut réintégrer dans le calcul de la productivité tout ce qui rend possible le travail productif et en faire une notion plus collective.

Intégrer l’essentialité des métiers

Sans ces fonctions, sans ces personnes qui prennent soin des corps, de la santé, de l’éducation…, la société ne peut pas fonctionner. Le modèle productiviste passe donc à côté de l”essentialité” des métiers. Selon Laëtitia Vitaud, “il faut réintégrer dans le calcul de la productivité tout ce qui rend possible le travail productif et en faire une notion plus collective.”

Dans la sphère privée, c’est pareil. La logique du productivisme vient contaminer notre intimité, notre rapport au temps, jusqu’à pervertir la manière dont on dort, dont on se nourrit… “Il y a une espèce de renversement des priorités, on devrait travailler pour vivre et non l’inverse. On applique cette logique de calcul à toutes les dimensions de la vie, ce qui explique une grande partie de notre épuisement et ce qui révèle un rapport pathologique au temps et au travail.” Désormais, on vit dans le futur. Les cases de notre to-do-list à rallonge n’attendent plus qu’à être noircies, dans l’espoir que l’après soit meilleur. En vain.

Le coût réel des choses

Le calcul de la productivité est aussi biaisé parce qu’il ne rend pas compte de toutes les conséquences non intentionnelles d’une activité économique sur le reste des acteurs, sur l’environnement ou la vie de la communauté. Laëtitia Vitaud n’a pas peur des mots, la productivité est écocide. “La question écologique rejoint la question féministe. La productivité, de même qu’elle ignore l’amour, le care, le soutien (ces choses réputées comme étant féminines), ignore aussi tout ce qui fait la qualité de notre environnement, de nos liens sociaux, elle n’intègre pas les externalités. La productivité, artificiellement, ne compte pas tout le travail qui sera nécessaire pour réparer les dégâts causés par une activité. Elle est productive parce qu’elle délègue ou externalise le vrai travail qui la rend possible.”

Il faut donc renverser l’ordre des choses et sacraliser davantage des sujets comme l’espérance de vie, la mortalité infantile ou encore le niveau scolaire des enfants.

Un outil plus vertueux ?

Parce que la souveraineté d’un seul et unique principe directeur implique des effets pervers, il faut trouver l’équilibre et la juste mesure des choses dans la multiplication des indicateurs. “Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont cette réflexion sur ce qu’est la valeur du travail, le sens qu’on lui donne, elles se dirigent davantage vers une évaluation collective, une mesure des inégalités. A l’échelle nationale, arrêtons d’être complètement esclaves de la mesure du PIB et de la productivité telle qu’elle existe actuellement. L’économie doit rester au service de nos vies, de notre bien-être, pas l’inverse. Il faut donc renverser l’ordre des choses et sacraliser davantage des sujets comme l’espérance de vie, la mortalité infantile ou encore le niveau scolaire des enfants. »

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Anne-Sophie Debauche
Créatrice de contenus, Anne-Sophie est passionnée d’écriture, curieuse et captivée par le pouvoir des mots. Des fenêtres qui ouvrent et éclairent nos communications. Freelance, elle met sa plume au service de l’entrepreneuriat et questionne les nouvelles tendances RH. L’avenir du travail, un sujet qui n’a pas fini de faire couler son encre… Anne-Sophie is een content creator, gepassioneerd door schrijven. Ze is nieuwsgierig, geboeid door de kracht van woorden en zorgt voor deuren die opengaan en onze communicatie vergemakkelijken. Als freelancer gebruikt ze haar pen voor ondernemerschap en stelt ze nieuwe HR-trends in vraag, zoals de toekomst van werk, een onderwerp waar nog steeds veel over wordt geschreven ... Voir tous les articles de #Anne-Sophie Debauche