"Exploring the future of work & the freelance economy"
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-Débat- La sécurité sociale et le marché du travail actuel

Soirée débat NextConomy sur la recherche de l’équilibre entre liberté individuelle et sécurité collective.

Le nombre de freelances est en croissance. Au cours des dernières années, cette croissance a même été plus forte en Flandre qu’aux Pays-Bas. Et le nombre de personnes qui combinent une fonction de salarié à de l’entrepreunariat augmente encore plus vite. De part et d’autre de la frontière. La recherche d’un nouvel équilibre entre l’espace personnel et la solidarité, entre les responsabilités personnelles et la sécurité collective, progresse dans de nombreux pays et bien sûr aussi aux Pays-Bas et en Belgique. Comment donner plus d’espace aux individus, tout en protégeant les groupes vulnérables ? Que pouvons-nous attendre de l’Europe, et en quoi l’UE limite-t-elle le développement d’une politique moderne par rapport au marché du travail ?

Voici les principaux thèmes qui ont été abordés au cours de la 2e soirée de débat organisée par NextConomy et ZiPconomy dans les locaux de deBuren.

Belgique et Pays-Bas : différences et similitudes

Entre les Pays-Bas et la Belgique, il existe de grandes différences au niveau institutionnel dans les domaines de la sécurité sociale et de la fiscalité. Malgré ces différences, de nombreux éléments sont toutefois identiques : le nombre de freelances, les types d’activité, les motivations (artisanat, liberté, flexibilité), et le taux de satisfaction élevé chez la majorité de ces freelances. Les zones d’ombre sont également comparables, tels que l’abus de statut, les groupes vulnérables, le manque de pouvoir de négociation. Par le biais des débats, nous réunissions les idées issues des deux côtés de la frontière.

Deux panels, deux thèses

Nous avons laissé la parole à deux panels composés d’experts des deux pays, chacun ayant une couleur politique ou une formation différente :

Panel 1

Thèse : L’UE doit-elle jouer un rôle de premier plan dans la régulation du marché des freelances ?

La ministre belge libérale des Affaires sociales et la député européenne socialiste des Pays-Bas, de surcroît ancienne présidente d’un syndicat, tombaient étonnamment souvent d’accord. Sauf peut-être sur le sujet que nous leur avons présenté : est-ce à l’UE ou aux pays membres de prendre l’initiative en ce qui concerne les règles applicables au ‘marché du travail flexible’ ?

Panel 2

Thèse : Les freelances sont-ils des micro-entrepreneurs ou des travailleurs d’aujourd’hui ?

Un professeur de droit des assurances sociales, une responsable d’organisation patronale et un protagoniste d’un nouveau mouvement de ‘travailleurs’, ont entamé la discussion, de concert avec le public, sur ce que représente réellement un freelance : un travailleur flexible actuel ou un micro-entrepreneur. Ou les deux à la fois.

# 1 : L’UE doit-elle jouer un rôle de premier plan dans la régulation du marché des freelances ? 

Agnes Jongerius, membre du Parlement européen, est formelle : « L’UE jouera un rôle de premier plan, et la Commission est actuellement en pleine procédure d’audition à ce sujet. Nous voulons offrir une protection de base aux freelances. Mais le processus s’annonce complexe en raison de la diversité des groupes de freelances. Qu’entend-on précisément par freelance ? C’est un débat qui ne date pas d’hier. Même au niveau local. De nombreux pays membres préfèrent donc reporter la recherche d’une définition des différents groupes. »

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Des différences importantes dans chacun des pays

La ministre belge Maggie De Block plaide en faveur d’un minimum de directives de la part de l’UE, mais estime que les pays membres doivent prendre leurs responsabilités au niveau local, en fonction de leur situation économique. « On ne peut pas obtenir un modèle unique à partir des statuts de l’UE. La situation de chaque pays membre est trop particulière. Chacun possède sa propre économie. Il faut laisser aux États membres leur liberté individuelle et leurs responsabilités. » Maggie De Block aimerait voir les statuts converger, afin que les mêmes droits soient accordés aux travailleurs en cas de carrière mixte. « Ceux et celles qui veulent se lancer dans une entreprise doivent pouvoir le faire sans crainte de perdre les acquis sociaux. Vous ne devez pas rester fonctionnaire contre votre gré. Débuter une carrière sous un statut sans jamais en changer ne correspond plus avec notre époque. »

 Débuter une carrière sous un statut sans jamais en changer ne correspond plus avec notre époque.

Une même approche pour tous les travailleurs

Agnes Jongerius nous rejoint : « La protection sociale est régie par des conventions collectives. Peu de travailleurs restent dans le même secteur d’activités tout au long de leur carrière, et au sein des secteurs, le travail a également tendance à évoluer. Pour les travailleurs indépendants, la négociation collective et l’application de conditions collectives sont en opposition au droit de la concurrence. Il vaut mieux généraliser plutôt que de créer diverses définitions des indépendants. »

Une protection de base pour tous

« Il faut distinguer protection sociale et statut juridique professionnel. La protection sociale est une nécessité pour chacun, quel que soit le statut juridique. » La ministre milite pour un modèle ‘cappuccino’: d’abord une protection sociale où chacun aurait droit à l’assurance de base, avec le revenu d’intégration, l’assurance maladie et les allocations familiales. Pour ceux et celles qui auraient travaillé, une couche supplémentaire de protection viendrait s’ajouter : l’assurance chômage, avec les allocations de chômage et d’incapacité de travail, la pension et un budget formation. Et par-dessus, les assurances individuelles.  Selon Maggie De Block, le modèle ‘cappuccino’ peut aboutir en Belgique d’ici 10 ans. « Faut-il rendre la protection sociale obligatoire ? Je pense que dans ce domaine, il faut protéger les gens contre eux-mêmes. Il serait intéressant de sensibiliser la population à la protection sociale dès que possible, et pourquoi pas dès l’école. Trop souvent, les gens connaissent des difficultés car ils ont, par exemple, travaillé à temps partiel, sans se rendre compte des conséquences en matière de sécurité sociale. »

Faut-il rendre la protection sociale obligatoire ? Je pense que dans ce domaine, il faut protéger les gens contre eux-mêmes.

Les clients rendent les freelances vulnérables

Selon Agnes Jongerius, le piège pour les freelances vient bien souvent des entreprises qui fixent elles-mêmes le statut de ceux et celles qu’elles engagent. Elles se réfèrent aux plateformes qui poussent les freelances dans une position de vulnérabilité. Une affirmation du reste récurrente parmi les différents participants au débat. « Les travailleurs doivent pouvoir choisir eux-mêmes leur statut professionnel », complète Agnes Jongerius.

Le piège pour les freelances vient bien souvent des entreprises qui fixent elles-mêmes le statut de ceux et celles qu’elles engagent.

Mieux règlementer les revenus complémentaires en Belgique

Maggie De Block :  « En Belgique, nous avons déjà franchi des étapes en ce qui concerne les travailleurs à revenus complémentaires. Par exemple, nous avons accordé aux plateformes une reconnaissance pour laquelle elles ont à se conformer à des exigences de transparence. Nous avons mis au point via les plateformes un système de ‘revenus complémentaires limités’. Nous avons également développé un système de flexi-jobs. Les deux systèmes sont destinés à ceux et celles qui bénéficient déjà d’une protection sociale par le biais d’un emploi fixe et qui sont occupés au moins à 4/5 temps. »

Conclusion :

Agnes Jongerius reconnaît le côté socialiste de la ministre libérale. Lorsque de son côté Maggie De Block laissait apparaître son visage social, Agnes Jongerius prône une approche libérale lorsqu’elle déclare que le statut professionnel doit être un choix individuel.

#2 : Les freelances sont-ils des travailleurs d’aujourd’hui ou des micro-entrepreneurs.

Le professeur Schoukens intervient :  « C’est un débat important qui n’est pas sans conséquences sur le droit du travail. Actuellement, nous avons des salariés et des indépendants. Mais au sein de ces groupes, les travailleurs ont des comportements différents. C’est ainsi qu’on va rencontrer des salariés qui se comportent en fait comme des indépendants, et des travailleurs indépendants qui se comportent comme des salariés, notamment lorsqu’ils sont attachés à un seul client bien spécifique.

De quoi les gens ont-ils besoin ?

Pour Roos Wouters, la réponse est claire. Elle plaide résolument pour une approche ‘Travail moderne’. Roos Wouters :  « Peu importe la façon dont le travail est effectué. Prenez comme base la personne et ses besoins réels, et non la relation de travail. Le travailleur actuel fait ses choix de façon indépendante en fonction de ce qu’il aime ou ce dont il a besoin. Il ne s’agit pas de remplir des cases. Quelles sont les attentes des gens par rapport au marché du travail ? La flexibilité. En raison des grandes différences quant à la protection sociale aux Pays-Bas, cette possibilité n’est pas encore accessible. Au contraire, il y a une polarisation croissante entre les deux groupes : ceux qui travaillent sous contrat fixe et les petits indépendants »

Peu importe la façon dont le travail est effectué. Prenez comme base la personne et ses besoins réels, et non la relation de travail.

La réglementation en vigueur est suffisamment claire

Monica De Jonghe revient à la réglementation en vigueur en Belgique. Selon elle, il n’y a pas d’ambiguïté :  « La loi sur la nature des relations de travail est claire. Cette réglementation a été récemment débattue avec les partenaires sociaux face à la numérisation et aux évolutions des plateformes de partage. Les parties ont pu convenir que les critères sont bien définis pour déterminer s’il s’agit de travailleurs indépendants ou de salariés. »

Une autre approche s’impose pour les indépendants

« Il existe néanmoins un groupe important de travailleurs indépendants vulnérables, et c’est une protection sociale équitable qui est en jeu », réagit le professeur Schoukens, « Mais mettre au même niveau le système pour les salariés et les indépendants n’est pas une solution. Par exemple, la perte de revenus d’un travailleur indépendant est nettement plus difficile à estimer que pour un salarié. Quelle est la perte de revenus d’un indépendant en cas de maladie ? Toutefois, un système de chômage temporaire pour indépendants afin de compenser une perte de revenus temporaire serait applicable, par exemple pour des activités liées aux travaux routiers. Lorsqu’on parle de protéger les travailleurs indépendants, cela doit s’appliquer à l’ensemble, y compris à ceux et celles aux revenus plus élevés, car en fait ils supportent le système. »

Lorsqu’on parle de protéger les travailleurs indépendants, cela doit s’appliquer à l’ensemble, y compris à ceux et celles aux revenus plus élevés, car en fait ils supportent le système.

Viable sur le long terme

Monica De Jonghe :  « Ces dernières années, les différences de protection sociale entre salariés et indépendants ont été largement réduites. La principale préoccupation étant : quelle est la viabilité et le coût de notre système de sécurité sociale ? Nous devons trouver des moyens pour garder le système pérenne. »

Changer tout en préservant

Selon le professeur Schoukens, il n’est pas nécessaire de réinventer la sécurité sociale, mais plutôt de l’adapter aux changements que nous connaissons. « Si vous voulez tout garder tel quel, vous devez tout changer », annonce-t- il.

Consulter les indépendants

Aux Pays-Bas, l’assurance incapacité de travail obligatoire (AOV) a ses partisans et ses opposants. Roos Wouter s’oppose carrément à cette proposition. « L’AOV est voulue par les syndicats, ce n’est donc pas une demande émanant des indépendants. En outre, l’assurance sera trop chère pour certains, et d’autres ont déjà leurs propres assurances. » Roos Wouters est particulièrement préoccupée par le fait que de telles mesures sont mises en œuvre sans consultation préalable avec les indépendants, et en utilisant de faux arguments. De plus, l’inquiétude suscitée par les ‘travailleurs indépendants vulnérables’, ou ‘travailleurs pauvres’ comme les nomment Roos Wouters, indique clairement qu’on passe à côté de l’essentiel. « Ce sont certains clients qui exploitent le filon, ce qui en fait des employeurs pourris. C’est à nos gouvernants de s’attaquer à ces formes de faux travail indépendant. Au lieu de cela, les travailleurs indépendants se voient de plus en plus imposer de nouvelles règlementations, ce qui les empêche d’entreprendre.

Ce sont certains clients qui exploitent le filon, ce qui en fait des employeurs pourris. C’est à nos gouvernants de s’attaquer à ces formes de faux travail indépendant.

Conclusion ?

Tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, le marché du travail évolue à la vitesse de l’éclair. Les jobs changent et les carrières évoluent, avec la flexibilité et la numérisation comme moteur du changement. Le droit du travail et celui de la sécurité sociale sont à la traîne. Les besoins de nos deux pays ne sont pas identiques. Aux Pays-Bas, la grande différence entre les statuts reste la pierre d’achoppement. En Belgique, le caractère abordable de l’État-providence reste le plus grand défi.

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